CollectionsGrandir avec l’effort

Paru le:  31-10-2025

Editeur:  Les éditions Ovadia

Isbn:  978-2-36392-680-7

Ean:  9782363926807

Prix:  25 €

Caractéristiques: 
424 pages

Genre:  Essai

Thème:  Philosophie

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Le clair-obscur du rêve

Si l’homme qui s’interroge sur la nature des choses n’a pas toujours osé désavouer cette croyance qu’il pouvait être enclin à verser sur le compte de la superstition, il a toutefois très vite perçu que certains rêves entraient difficilement dans la cat

Alexandra Roux est maître de conférences habilitée à diriger des recherches à l’Université de Poitiers ; historienne de la philosophie moderne, elle est l’auteur de plusieurs ouvrages sur Malebranche et Schelling. On lui doit, par ailleurs, quelques études sur des auteurs spiritualistes des XIXe et XXe siècles, ainsi que quelques livres collectifs (dont Quelle philosophie de l’esprit ?, Hermann, 2024). Avec cet ouvrage sur le rêve, elle inaugure une série de travaux où elle entend philosopher sur des objets pérennes dans une optique métaphysique.

Depuis toujours, on considère le phénomène du rêve comme délivrant d’étranges messages qu’il s’agirait de déchiffrer. À partir d’Aristote, une autre approche a émergé : celle qui consiste à regarder le contenu de nos rêves comme un produit de l’imagination. Toute l’histoire des discours sur le rêve n’a cessé d’osciller entre ces deux tendances. Quand, au XIXe siècle, la psychologie prend son essor, les deux tendances convergent dans un discours qui subordonne l’herméneutique des rêves à leur explication psychologique.
Un autre fait, aussi ancien et non moins remarquable, a retenu notre attention : c’est la pérennité de l’argument du rêve qui fait pâlir la veille jusqu’à y voir un rêve, quand ce n’est pas pour voir en lui la métaphore de l’existence humaine comme immense illusion. Or pourquoi donc le rêve sème-t-il ainsi le trouble sur la vie éveillée ? Quel état est-il donc pour qu’on lui assimile ainsi nos veilles ? N’en est-il pas distinct ? Sans doute, mais les critères qui nous semblent évidents pour les différencier sont-ils indiscutables ? Par ailleurs, le rêveur n’a-t-il pas, lui aussi, un sentiment de réalité ? À moins qu’il ait plutôt un sentiment de présence ? Et ce sentiment même ne s’accommode-t-il pas d’un sentiment d’étrangeté ? Mais si tel est le cas, que dire alors de la conscience du rêveur ? Est-elle consciente d’elle-même ? Y a-t-il un « Je » qui rêve ? Si le sommeil est un état où la conscience est suspendue, le rêve ne serait-il pas un état où la vie s’éveille à la conscience ?

Nous savons que nos nuits sont peuplées par des rêves, mais si nous ne pouvons dire que dormir c’est rêver, que nous rêvons tout le temps que nous sommes endormis, nous soupçonnons toutefois que nos souvenirs de rêve s’apparentent à des arbres qui nous cachent la forêt, ou qu’ils sont comme des bribes que la mémoire a pu ravir in extremis aux rêves qui se défont en même temps qu’ils se font. Or il est fort probable que ce soit ce soupçon qui ait encouragé les hommes à regarder leurs rêves comme des messages possiblement cryptés, des énigmes à résoudre, des signes à déchiffrer. Tant que la science n’a pu, par ses propres expériences, montrer que le sommeil comporte des phases de rêve, on a pendant longtemps cru que les hommes passaient la plupart de leurs nuits à dormir sans rêver et que, quand ils rêvaient, le phénomène devait signifier quelque chose, avoir quelque raison cachée de se produire. Aussi les hommes ont-ils investi leurs croyances pour rendre leurs rêves sensés, en se dépossédant de cette activité dont notre langue dit bien qu’elle consiste pour chacun à « faire » ou à produire ce qu’on appelle « un rêve » : ils pensaient que les rêves faisaient partie des signes et des avertissements que les divinités adressaient aux mortels.